De tous les patrimoines et héritages culturels, aucun n'est plus significatif que le langage humain. L'écriture chinoise est la plus ancienne parmi les formes d'écritures d'Asie de l'Est. Les caractères chinois, en raison de leurs propriétés uniques ont contribué pendant des milliers d'années à organiser et à façonner la société chinoise, tout comme le fait la langue.
Cangjie et les origines mythologiques de l'écriture chinoise
Selon la légende, les caractères chinois ont été inventés vers 4500 avant notre ère, par Cangjie (仓颉,Cāngjié), un fonctionnaire de l'Empereur Jaune (黄帝, huángdì).
Cangjie était chargé de tenir l'inventaire du bétail et des céréales, car il était connu pour être une personne très intelligente. Il utilisait des coquillages et des nœuds sur des cordes de différentes couleurs pour représenter les quantités des différents aliments. Mais à mesure que les stocks de nourriture augmentaient, le système devenait compliqué et inefficace.
Un jour Cangjie est parti à la chasse avec plusieurs autres personnes. Lorsque le groupe arriva à une bifurcation du chemin, la décision sur le chemin à prendre a été prise à partir d'empreintes de sabots sur le sol. Cela l'a inspiré. Il pensait que s'il pouvait créer des caractères qui distinguaient chaque chose sur la terre, il pourrait les utiliser pour ses archives.
Il prêtait une attention particulière aux caractéristiques de chaque chose, et il compila une longue liste de caractères qu'il présenta à l'Empereur Jaune.
Il est vite apparu qu'il était facile et efficace de reconnaître des objets au moyen de ces caractères. Ainsi, ce nouveau système d'écriture a été mis en œuvre et est devenu très populaire.
Voici donc comment serait née l’écriture chinoise. Cette version est évidemment contestée par les historiens, mais cette légende reste importante dans l’imaginaire collectif.
À quand remontent les premières traces de caractères chinois ?
Les premiers caractères découverts sont des inscriptions sur bronze qui remonteraient à la dynastie xia, vers 6500 avant JC, repoussant toujours plus loin les débuts de l'écriture chinoise. Même si les historiens ne s'accordent pas tous sur le fait qu'il s'agisse réellement d'un système d'écriture, ces inscriptions témoignent de l'utilisation de symboles dès le néolithique dans la vallée du fleuve Jaune.
Les plus anciennes preuves confirmées de l'écriture chinoise découverte à ce jour remontent au 12e siècle avant notre ère, durant la dynastie Shang (1570 - 1045 avant JC). Il s'agit d'un ensemble d'inscriptions gravées sur du bronze, des omoplates de bœuf ou des carapaces de tortues.

La plupart des objets de cette période proviennent de la région d'Anyang, dans la province du Henan, où était établie la capitale du royaume Shang. Ces écrits sont appelés inscriptions oraculaires, car ils servaient de registre des divinations royales effectuées à la cour Shang pour prédire l'avenir.
L'écriture chinoise est apparue, dès ses premières découvertes, comme un système développé permettant de noter les différents éléments d'une langue, ce qui suggère que l'origine de l'écriture pourrait être bien antérieure.
Les historiens pensent ainsi que les caractères étaient utilisés à de nombreuses autres fins non-officielles, mais que les matériaux utilisés, probablement du bois et du bambou, étaient moins durables que l'os et la carapace, et se sont depuis décomposés.
L'écriture évolue s'enrichit progressivement
Lorsque la dynastie Zhou a renversé le Shang vers 1050 avant notre ère, ils avaient déjà adopté leur forme d'écriture depuis plusieurs années. Le règne des Zhou est marqué par une première période de relative stabilité au sein de laquelle l'écriture sur bronze s'est développée, notamment pour faire référence à des cérémonies officielles.

Ces inscriptions visaient également à renforcer le statut du propriétaire de l'objet envers les autres membres de l'aristocratie.
Progressivement, l'écriture ne s'est plus limitée aux cercles proches de la maison royale, et a commencé à être utilisée de façon plus pragmatique, notamment pour notifier des jugements ou des échanges fonciers.
En 771 avant JC, la famille royale Zhou a été forcée d'abandonner sa capitale Xi'an pour se réfugier à Luoyang. Les États les plus puissants luttaient pour affirmer leur propre pouvoir et étendre autant que possible leur autorité sur les autres.
De nouveaux usages de l'écriture ont été développés : sceaux, manuscrits, monnaies, inscriptions publiques sur des pierres, etc. Cette diversification soudaine des témoignages écrits reflète une évolution des pratiques d'écriture.
L'utilisation de l'écriture est devenue de plus en plus importante, notamment dans l'administration. Pour faire face à ces nouveaux besoins et pour que la prise de notes soit plus rapide, l'écriture a évolué. De nombreux mots sont apparus dans le vocabulaire écrit et de nouveaux caractères ont été créés pour en remplacer d'autres jugés trop ambigus.
En revanche, cette évolution de l'écriture s'est faite de manière très différente selon les États. C'est pourquoi des variantes régionales sont apparues, caractérisées par des formes d'écriture, un vocabulaire et des choix de caractères spécifiques pour noter certains mots.
Cependant, malgré les différences, ce sont les similitudes qui dominent. Il faut rappeler que ces types d'écriture ont la même origine : l'écriture Zhou, héritée de la dynastie Shang.
L'unification du système d'écriture chinois
En 221 avant notre ère, Qin Shi Huang (秦始皇, qín shǐhuáng) met fin à presque 250 ans de guerres entre différents royaumes, unifie la Chine et crée la première dynastie impériale, la dynastie Qin (221 - 206 avant JC). Il ordonna alors l'unification systématique des poids, des mesures, de la monnaie, et de l'écriture. Cela allait mettre fin aux styles de caractères locaux avaient évolué indépendamment les uns des autres pendant plus de trois siècles.
L'unification de l'écriture ne s'est pas faite en créant un nouveau système d'écriture, mais en imposant celui qui était en vigueur dans l'état de Qin, qui était assez proche de celle des Zhou.

Si sous les dynasties Shang puis Zhou, le style de caractères en vigueur était le grand sceau (大篆, dàzhuàn), il sera remplacé par le petit sceau (小篆, xiǎozhuàn) lors de la standardisation de l'écriture sous les Qin. Ces nouvelles normes ont été ainsi adoptées partout dans la Chine nouvellement créée.
Cela a permis aux décisions et aux lois d'être comprises dans tout l'empire, et de faciliter la diffusion des informations.
Même après la chute de la dynastie Qin, 15 ans après sa création, le principe d'une écriture unique ne fut jamais remis en question. La standardisation du système d'écriture chinois a eu un effet unificateur sur la culture chinoise pendant des milliers d'années.
La création des caractères chinois tels qu'on les connaît aujourd'hui
À partir de la dynastie Han (206 avant JC – 220 après JC), il était devenu nécessaire d'écrire plus rapidement, afin de tenir les registres de façon plus efficace. L'écriture des scribes (隶书, lìshū) avec sa silhouette plus trapue, atteint ainsi son apogée durant cette période en devenant le style adopté pour tous les documents officiels.
Sur les caractères tracés au pinceau et les formes rondes laissent place à des formes rectangulaires, les courbes deviennent des lignes qui se brisent à angle droit, devenant des caractéristiques distinctes de l'écriture des scribes.

Ce style d'écriture symbolise un tournant dans l'histoire de l'évolution des caractères chinois, qui entrent ainsi dans une ère de développement moderne. C'est en référence à cette époque qu'en chinois, les caractères sont appelés 汉字(hànzì), littéralement « caractères des Hans ».
L'écriture a pris en nouveau tournant avec l'invention du papier, en 105 avant notre ère. Moins cher que la soie, plus léger et plus pratique que le bambou, il a été une révolution dans la façon dont les gens enseignent et apprennent. La papier a également favorisé et accéléré les progrès culturels ainsi que de la littérature.
Contrairement à certaines idées reçues, plusieurs styles d'écriture cohabitaient durant la dynastie Han, et de nouveaux ont fait leur apparition, tels que l'écriture cursive (草书, cǎoshū) et l'écriture semi-cursive (行书, xíngshū), toutes les deux étaient utilisées pour écrire rapidement les caractères chinois. Si ces styles devenaient toutefois rapidement illisibles.

L'écriture des scribes était, quant à elle jugée, trop délicate à tracer, avec ses nombreux traits courbes. À la fin de la dynastie Han, l'écriture dite « régulière » (楷书, kǎishū) est élaborée, et elle devenue le style d'écriture chinoise moderne dominant, surtout avec les débuts de l'imprimerie au 9e siècle, sous la dynastie Tang (618 - 907 ).
C'est avec le style régulier que les caractères chinois perdent la forme légèrement aplatie du style lishu pour s'inscrire dans un carré parfait.
Les styles cursifs ont continué leur évolution, devenant de plus en plus artistiques. Écrits sans que le pinceau ne se soulève du papier, les caractères tout en rondeur se fondent souvent les uns dans les autres. En raison de la simplification drastique, cette écriture n'est pas considérée comme particulièrement lisible, mais elle a été le choix de nombreux maîtres calligraphes pour démontrer leur personnalité.

L'écriture semi-cursive combine la lisibilité de l'écriture régulière et l'expressivité de l'écriture cursive. C'est sous la dynastie Song (960-1279), que les fonctionnaires qui obtenaient des postes gouvernementaux ont développé ce style d'écriture calligraphique.
La calligraphie chinoise est un phénomène unique dans l'histoire de l'humanité, car elle élève l'écriture au rang d'art. Ce type d'expression est tenu en haute estime dans toute l'Asie de l'Est.
La nécessaire simplification des caractères
Si l'on fait abstraction des styles cursifs, les caractères utilisés pour l'écriture chinoise n'ont que très peu évolué pendant 2000 ans, depuis la création du style régulier sous la dynastie Han.
En revanche, à la fin du 19e siècle, savoir lire et écrire était réservé à une élite. Dès le début du 20e siècle, des réflexions sont entreprises pour simplifier l'écriture, mais rien n'avait vraiment abouti. Lors de la fondation de la République populaire de Chine en 1949, plus de 80% de la population était illettrée.
Il y avait plusieurs raisons à cela, notamment la difficulté d'apprendre les milliers de caractères nécessaires à la compréhension d'un texte par une société qui était encore très tournée vers l'agriculture et qui n'avait que peu accès à l'éducation.
Une réforme de l'écriture est alors mise en place, et à un moment l'idée d'abandonner complètement les caractères chinois au profit d'un alphabet a été évoquée. Heureusement, elle n'a pas abouti.
La réforme a finalement porté sur deux projets. Le premier a été la création du Hanyu Pinyin, un alphabet phonétique basé sur des lettres latines, permettant de faciliter l'apprentissage de la prononciation des caractères chinois.
L'autre partie de la réforme consistait à simplifier l'écriture, à plusieurs niveaux. Il existait par exemple de nombreuses variantes d'un même caractère, avec des sens très proche, qui pouvaient facilement être fusionnés en un seul. Les caractères les plus courants comportant de nombreux traits ont été simplifiés, afin d'en réduire le nombre.
Beaucoup de personnes disent que, lors de la simplification, les caractères chinois ont perdu beaucoup de leurs valeurs esthétiques, ainsi que les significations qu'ils portaient. Même si ces arguments ne sont pas sans fondement, l'esthétique n'était pas dans la liste des priorités de ces réformateurs quand il s'agissait d'enseigner à des paysans comment tracer des caractères.

De plus, de nombreuses simplifications sont inspirées des styles cursifs et semi-cursifs, déjà utilisés depuis des centaines d'années, et qui avaient l'habitude de fusionner certains traits pour écrire plus vite.
En bien sûr, avec les ordinateurs et les smartphones tenant une place de plus en plus importante, la nécessité d'une simplification devient encore plus évidente pour améliorer la lisibilité lorsque les caractères ne sont pas écrits dans une grosse police.
Une réforme de simplification des caractères a également été mise en œuvre au Japon, dont le système d'écriture a été largement inspiré par celui de la Chine. kanji (漢字) signifie littéralement « caractère de l'ethnie Han ». En revanche, la simplification n'a pas suivi exactement les mêmes règles au Japon qu'en Chine, ce qui fait qu'à l'époque moderne, l'écriture de ces deux pays présente des différences parfois marquées.
Enfin, Hong Kong, Taiwan et Macao utilisent toujours les caractères traditionnels et ne sont pas passés au nouveau système. Ce qui implique parfois de faire le choix d'apprendre les caractères traditionnels ou simplifiés en fonction des personnes avec qui vous allez être en contact ou de l'endroit où vous décidez de vous installer.
Alors que les langues idéographiques ne sont aujourd'hui que des objets d'étude et de recherche, seule l'écriture chinoise est encore utilisée de nos jours. C'est également le système linguistique qui a le mieux préservé sa forme historique. Les caractères chinois ont ainsi une relation étroite avec la culture de la Chine, car ils sont le reflet des valeurs, des styles de vie, du schéma de pensée, des codes éthiques et des coutumes de la nation chinoise.