Pourquoi et comment le Pinyin, l'alphabet chinois, a-t-il été inventé ?

Pourquoi le Pinyin, l'alphabet chinois, a-t-il été inventé ?

Les caractères de la langue chinoise ne sont pas des lettres qui sont assemblées pour former des mots ; chaque caractère forme un mot. Il n'existe donc pas d'alphabet chinois au sens où nous l'entendons en Occident. Mais pour faciliter l'apprentissage de la langue, aussi bien pour les étrangers que les Chinois eux-mêmes, un alphabet phonétique a été créé : le Pinyin.

Les caractères chinois sont très difficiles à apprendre, pour la simple raison qu'ils ne sont pas phonétiques, et que les traits ne donnent aucune indication sur la façon dont on prononce les caractères. Lors de la fondation de la République Populaire de Chine en 1949, 90% des paysans ne savaient pas lire.

Que fallait-il faire ? Jeter un système d'écriture millénaire ? Évidemment non, car ces caractères sont une partie importante de la culture chinoise, et il aurait été impensable de faire ça.

Afin de conserver les caractères chinois et d'améliorer le taux d'alphabétisation, le gouvernement a entrepris deux réformes. La première a été de revoir la façon dont les caractères étaient écrits en les simplifiant pour avoir moins de traits. La seconde a été de créer un nouvel alphabet phonétique pour normaliser la prononciation de ces caractères, faciliter leur apprentissage et améliorer les communications avec l'étranger.

Le système finalement retenu s'appelle le Hanyu pinyin (汉语拼音), qui signifie littéralement « assembler les sons de la langue des Hans », et il aura fallu presque 450 ans pour y arriver.

Les débuts de la romanisation des caractères chinois

Beaucoup pensent que le Pinyin est une invention moderne, alors que depuis très longtemps les gens ont essayer de « romaniser » le chinois, c'est-à-dire transcrire le chinois dans une écriture latine. Le Pinyin doit se concevoir comme une évolution de plusieurs anciens systèmes qui l'ont précédé.

Les débuts remontent en 1582, lorsqu'un missionnaire Jésuite du nom de Matteo Ricci arrive sur les côtes de Macao. Après avoir passé plusieurs années en Inde, l'église était désireuse de convertir les Chinois au christianisme.

Bien que ne connaissant rien de la langue lorsqu'il est arrivé en Chine, il a finalement réussi à l'apprendre, et Matteo Ricci a été la première personne à tenter de romaniser le chinois. Il a consigné ses travaux dans son livre « Le Miracle des lettres occidentales » (西字奇蹟, xīzì qíjī), publié en 1605.

Matteo Ricci, Le Miracle des lettres occidentales

20 ans plus tard, en 1626, un autre jésuite du nom de Nicolas Trigault, publiera « Aide aux yeux et aux oreilles des Occidentaux » (西儒耳目資, xīrú ěrmù zī).

Ces premières tentatives de romaniser les caractères chinois étaient surtout destinées aux étrangers voulant apprendre le chinois, mais pas aux Chinois eux-mêmes.

Il faudra attendre 1867 pour voir émerger une nouvelle étape dans la romanisation du chinois, lorsque Thomas Wade a commencé à travailler sur ce qui serait plus tard connu comme le Système Wade-Giles (威翟式拼音).

Wade a été le premier professeur de chinois à l'université de Cambridge. Son système a été révisé et complété par le professeur qui lui a succédé à l'université : Herbert Giles.

Thomas Wade et Herbert Giles

C'est le système le plus ancien qui est encore utilisé aujourd'hui ; certains mots, comme Kung fu ou Tai chi, qui ont été empruntés à la langue chinoise sont écrits suivant le système Wade-Giles.

En pratique, ce système souffre de plusieurs défauts ; il se base sur des apostrophes pour indiquer les consonnes expirées. Par exemple, gong sera transcrit en kung et kong en k`ung. Comme les apostrophes étaient souvent oubliés, beaucoup de mots étaient mal prononcés, ce qui rendait le système largement inutile.

Les Chinois commencent à développer leur propre alphabet phonétique

Après la défaite lors de la première guerre sino-japonaise en 1895, la dynastie Qing a pris conscience de son retard technologique face aux grandes puissances occidentales, mais également de l'analphabétisation de la population. Une réforme du système était nécessaire, même si pour certains, cela devait aller jusqu'au remplacement des caractères chinois par un alphabet phonétique.

Cette tentative est connue sous le nom de « Mouvement pour un alphabet phonétique » (切音字运动, qiè yīnzì yùndòng).

C'est à ce moment qu'est apparue l'idée de décomposer les sons chinois en « initiales » et « finales », ce qui deviendra le concept de base du pinyin, quelques décennies plus tard.

Si de nombreux professeurs ont proposé leurs idées de réforme, aucune n'a vraiment été retenue. Surtout qu'à cette période, Sun Yat-sen (孙逸仙) lançait un mouvement de protestation qui allait mener en 1912 à la chute de la dynastie Qing (dont le dernier empereur a été Puyi) et l'émergence de la République de Chine.

Cependant, les efforts pour réformer la langue chinoises ne se sont pas éteints en même temps que les presque 4000 ans de dynasties impériales.

En 1912, la Commission de l'Unification de la Prononciation (讀音統一會) se basera sur les travaux de Zhang Binglin, pour créer un système appelé Zhuyin (注音符號, zhùyīn fúhào), aussi connu sous le nom de Bopomofo, qui fut adopté en 1928. Le Zhuyin n'utilise pas un alphabet latin, mais des symboles, ce qui le rapproche plus de la sténographie.

Jeu pour apprendre le Bopomofo, ou Zhuyin

D'autres systèmes ont également été développés. En 1928, la République de Chine adopta le Gwoyeu Romatzyh (国语罗马字) comme système officiel de transcription alphabétique. Ce système a la particularité d'utiliser différentes combinaisons de lettres pour indiquer le ton d'une voyelle. Mais le nombre important de combinaisons le rend très compliqué pour l'apprentissage.

Il n'en reste aujourd'hui pas grand-chose, si ce n'est le nom de deux provinces voisines : Shanxi et Shaanxi. Le doublement de la voyelle indique qu'il s'agit d'un troisième ton.

Différences d'écriture entre les provinces du Shanxi et du Shaanxi

Cette convention d'écriture a encore aujourd'hui été conservée, car avec le Pinyin qui sera créé plus tard, le nom des deux provinces auraient été transcrits de la même façon (avec simplement une différence d'accent sur le a pour marquer le ton). Pour éviter toute confusion, 陕西 est transcrit en Shaanxi, et c'est la seule province qui ne se conformera pas aux règles du pinyin.

Au début des années 1930, les dirigeants du Parti communiste chinois développent le système Sin Wenz (拉丁化新文字, lādīnghuà xīn wénzì), ou « Nouvelle écriture latinisée » en collaboration avec Moscou. Ce système était initialement destiné à l'alphabétisation des ethnies chinoises dans l'Extrême-Orient Russe. Son gros défaut était qu'il n'indiquait aucun des différents tons utilisés en mandarin, qui devaient alors être déduits du contexte.

Finalement, le système Yale a été développé par l'université éponyme dans les années 1940 dans le but d'enseigner le chinois aux pilotes américains survolant la Chine. Le résultat est assez proche du Pinyin, et ne détourne pas certaines lettres de leur prononciation habituelle.

La naissance du Pinyin

En 1949, le Parti Communiste Chinois arrive au pouvoir, mais se retrouve exactement avec les mêmes problèmes que la dynastie Qing, 50 ans plus tôt. Le pays est en sous-développement, et la population majoritairement illettrée.

Un nouveau comité été formé pour réformer la langue, amenant toute sorte d'experts autour de la table afin de concevoir la meilleure solution pour moderniser le chinois. Plus de 600 propositions ont été soumises.

L'ironie du sort, est que le pinyin que l'on utilise communément aujourd'hui n'est pas l'œuvre d'un linguiste, mais d'un économiste inconnu : Zhou Youguang (周有光). Il travaillait comme banquier à New York lorsqu'il a décidé de retourner en Chine pour participer à la reconstruction du pays après la création de la République populaire de Chine.

Zhou Youguang
Zhou Youguang, le père du Pinyin, est décédé le 14 janvier 2017 à son domicile de Pékin, un jour après son 111e anniversaire.

En 1955, il est nommé par le Premier Ministre Zhou Enlai (周恩来) à la tête du comité de réforme la langue chinoise. Alors qu'un autre comité s'occupait de la simplification des caractères, Zhou Youguang était chargé de développer une romanisation, un nouvel alphabet pour la Chine.

Après 3 ans de travail, le Hanyu pinyin fut officiellement présenté au monde le 11 février 1958.

Le Pinyin ne doit pas se concevoir comme un remplacement du système d'écriture chinois, mais seulement comme un guide de prononciation. Il s'est largement basé sur ce qui existait déjà. On y retrouve des emprunts au Gwoyeu Romatzyh de 1928, au Sin Wenz de 1931, et les marques diacritiques de Zhuyin afin de symboliser les tons.

Je ne suis pas le père de pinyin, je suis le fils de pinyin. C'est le résultat d'une longue tradition depuis les dernières années de la dynastie Qing jusqu'à nos jours. Mais nous avons réétudié le problème, nous l'avons revisité et l'avons rendu plus parfait.Zhou Youguang

Pendant la Guerre froide, l'utilisation du Pinyin à l'extérieur de la Chine était perçue comme une déclaration politique ou une identification au régime communiste chinois. Cependant, dès les années 1980, le Pinyin a été adopté par plusieurs institutions nationales et internationales, et a largement remplacé les anciens systèmes de romanisation tels que le Wade-Giles.

Finalement, pourquoi le Pinyin ?

Les amoureux de la culture chinoise, de la beauté de ses caractères et de la calligraphie peuvent se demander pourquoi la Chine a eu besoin d'un alphabet avec des caractères latins ? En fait, il y a de nombreux avantages à utiliser le Pinyin.

Le Pinyin est avant tout un système phonétique pour standardiser la prononciation de la langue chinoise. Dans la Chine ancienne, l'apprentissage de la langue se faisait uniquement à l'oral, et pas de façon écrite, car l'écriture chinoise n'est pas phonétique.

Le Pinyin sert également à standardiser les noms propres ou les noms de famille dans un environnement où les caractères chinois ne peuvent pas être utilisés, par exemple sur un passeport. Le fait qu'il soit basé sur l'alphabet latin est un énorme avantage dans les relations internationales et le commerce, où l'anglais reste encore roi.

Utilisation du Pinyin dans les écoles chinoises

En Chine, ce système est largement utilisé dans les écoles et dans les livres pour enseigner aux enfants la prononciation des caractères ; le Pinyin est écrit en petit au-dessus.

Enfin, les Chinois utilisent le Pinyin tous les jours pour taper du texte sur leur ordinateur ou envoyer des messages sur leur smartphone.

Le Hanyu pinyin ne remplacera jamais les caractères chinois en tant que système d'écriture, car il n'a pas été conçu pour ça. Son objectif est d'exister au côté des caractères en tant qu'alphabet phonétique.

Si le Pinyin n'est pas le premier système phonétique pour la langue chinoise, ce sera certainement le dernier, et il aura fallu presque 450 ans pour y arriver.

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