En particulier, trois grandes écoles de pensée continuent de jouer un rôle clé dans la vision diplomatique de la Chine moderne : le confucianisme (儒家, rújiā), le taoïsme (道家, dàojiā) et le légisme (法家, fǎjiā). Chacune de ces philosophies apporte une perspective unique sur des concepts fondamentaux tels que l’harmonie, l’ordre, le pouvoir et la nature des relations humaines, qui se retrouvent transposés sur la scène internationale.
Le confucianisme : la quête de l'harmonie et de la bienveillance
Le confucianisme, fondé par Confucius (孔子, kǒng zǐ) au 6ᵉ siècle avant notre ère, a profondément influencé la société chinoise pendant plus de deux millénaires. Il met l’accent sur l’importance de l’harmonie sociale, du respect des hiérarchies et de la moralité dans la conduite des affaires humaines. Dans ce cadre, les relations humaines sont vues comme un réseau d'obligations mutuelles, centrées autour de valeurs telles que la bienveillance (仁, rén) et les rituels (礼, lǐ), qui régissent le comportement correct et harmonieux entre individus.
Dans les relations internationales, cette philosophie trouve écho dans l’idée que l’harmonie et la stabilité entre les nations peuvent être obtenues par la moralité, le respect mutuel et la coopération.
Pour Confucius, un dirigeant doit être exemplaire dans sa conduite et guider son peuple par l'exemple, une notion qui s'étend aujourd'hui à la diplomatie. La Chine se présente souvent comme une puissance bienveillante qui privilégie le dialogue plutôt que la confrontation, en s'appuyant sur les principes confucéens d'harmonie et de paix.
L'un des concepts clés du confucianisme qui se reflète dans la politique étrangère chinoise est celui de tiānxià (天下), qui signifie littéralement « Tout ce qui est sous le ciel ». Ce concept symbolise l'idée d'un monde uni sous des valeurs communes, où la Chine, en tant que civilisation centrale, jouerait un rôle de guide moral. Cette vision se retrouve dans l'initiative la Ceinture et la Route (les Nouvelles Routes de la Soie), où la Chine cherche à renforcer les liens avec d'autres nations à travers des projets d'infrastructures et de développement, tout en promouvant une coopération pacifique et mutuellement bénéfique.
De plus, la notion d'harmonie de (和, hé) est centrale dans l'approche chinoise de la diplomatie. Au lieu de chercher à imposer ses volontés par la force, la Chine préfère cultiver des relations basées sur l’entente mutuelle et le compromis, tout en respectant les différences culturelles et politiques des autres nations. Cette approche se reflète dans sa participation à des organisations internationales comme les Nations Unies, où elle privilégie souvent une approche collaborative plutôt que conflictuelle.
Le taoïsme : flexibilité et non-intervention
Le taoïsme, fondé sur les enseignements de Lao Tseu (老子, Lǎozǐ) dans le Dao De Jing (道德经), est une autre philosophie essentielle qui continue d'influencer la pensée chinoise, y compris dans le domaine des relations internationales. À la différence du confucianisme, qui met l'accent sur l'ordre social et la moralité, le taoïsme se concentre sur l’harmonie avec la nature et le cosmos, en privilégiant le lâcher-prise et la non-intervention active, un concept appelé wu wei (无为, *wú wéi*), littéralement « non-agir ».
Dans les relations internationales, cette idée de wu wei se traduit par une politique d'adaptation plutôt que d'imposition. Le taoïsme enseigne que la meilleure façon de gouverner est souvent de laisser les choses suivre leur cours naturel.
Cela se reflète dans la manière dont la Chine, au niveau international, évite de s’engager dans des interventions militaires agressives ou dans des confrontations directes. Au lieu de cela, la Chine préfère observer, s’adapter aux changements et utiliser une diplomatie subtile pour influer sur les événements sans paraître trop interventionniste.
Plutôt que de forcer la résolution rapide des tensions, la Chine adopte souvent une approche plus lente et pragmatique. Cela se manifeste, par exemple, dans les discussions sur la mer de Chine méridionale, où, bien que revendiquant certaines zones stratégiques, la Chine privilégie le dialogue bilatéral et la patience plutôt que l’escalade militaire. Dans cet esprit taoïste, la diplomatie chinoise cherche à éviter les confrontations brutales qui pourraient déséquilibrer la situation.
L’idée de flexibilité et d’adaptation inhérente au taoïsme se reflète aussi dans la manière dont la Chine gère ses relations avec des puissances mondiales comme les États-Unis. Plutôt que d’adopter une position rigide face aux changements dans l’ordre mondial, la Chine mise sur la patience, la négociation et le compromis lorsque cela est possible. Elle cherche à s’inscrire dans le cours des événements mondiaux plutôt qu’à les diriger de manière coercitive.
Le taoïsme met également en avant le concept de l’équilibre des opposés, symbolisé par le yin et le yang, deux forces complémentaires qui coexistent. Cet équilibre se retrouve dans la stratégie internationale de la Chine, où l'accent est mis sur la recherche de la complémentarité et de l’harmonie entre les nations, même dans des situations complexes. Plutôt que de chercher à dominer, la Chine aspire à maintenir un équilibre entre les différents intérêts géopolitiques, un équilibre qui est perçu comme étant naturel et nécessaire pour la stabilité mondiale.
Le légisme : l'importance de la loi et de l'autorité
Le légisme représente une école de pensée plus pragmatique et rigide, développée durant la période des Royaumes combattants (475 - 221 avant notre ère). Contrairement au confucianisme et au taoïsme, qui valorisent la morale ou l'harmonie naturelle, le légisme met l’accent sur la loi, la discipline et le pouvoir centralisé. Pour les légistes, la stabilité d’un État repose avant tout sur une application stricte des lois et une autorité sans compromis. Le philosophe Han Fei (韩非, Hán Fēi) est l'une des figures emblématiques de cette école, prônant que l'État doit contrôler la société par des lois strictes, des récompenses et des punitions claires.
Dans les relations internationales modernes, l’influence du légisme se manifeste dans l’approche réaliste et pragmatique de la Chine face à la géopolitique mondiale. Les relations sont souvent perçues comme un jeu de pouvoir où l’intérêt national est primordial.
La Chine ne se repose pas seulement sur les principes moraux ou philosophiques ; elle adopte une attitude réaliste, où la force et la puissance sont essentielles pour garantir sa sécurité et son influence.
Le légisme s’applique particulièrement dans les domaines où la Chine cherche à renforcer son autorité, notamment dans la gestion des conflits territoriaux. Concernant Taïwan, la position de la Chine est sans équivoque : la souveraineté nationale doit être préservée à tout prix, en s'appuyant sur le principe d'une seule Chine, largement reconnu par la communauté internationale. Toute tentative de contester ce principe est jugée inacceptable par Pékin. Cette approche légiste se caractérise par une affirmation ferme de la puissance de l'État, où la loi et l'intégrité territoriale sont des éléments non négociables. De même, la montée en puissance de la Chine, tant sur le plan militaire qu'économique, reflète sa détermination à assurer, par tous les moyens, la stabilité et la sécurité du pays.
Dans sa politique étrangère, la Chine adopte parfois une attitude plus stricte, basée sur l'idée que le pouvoir se doit d’être respecté et maintenu. Cela se voit, par exemple, dans ses relations avec des puissances comme les États-Unis. Dans le contexte d'une guerre commerciale ou de tensions diplomatiques, la Chine peut adopter une position ferme et intransigeante pour protéger ses intérêts nationaux, en s'assurant que son pouvoir ne soit pas compromis.
Cependant, il est important de noter que, malgré cette tendance légiste, la Chine ne s’enferme pas dans une politique de confrontation permanente. Le légisme, dans son essence, n’est pas seulement une philosophie de la force brute, mais aussi de la stabilité et de la sécurité, des concepts que la Chine tente de maintenir à travers un équilibre avec les autres courants philosophiques comme le confucianisme et le taoïsme.
L'héritage des philosophies chinoises dans les relations internationales offre un cadre unique pour comprendre la diplomatie chinoise contemporaine. Le confucianisme, avec son appel à l'harmonie et à la bienveillance, le taoïsme, prônant l'adaptation et la patience, et le légisme, avec sa rigueur axée sur la loi et l'autorité, s'entrelacent pour former une stratégie diplomatique nuancée et polyvalente. Cette combinaison permet à la Chine d’être flexible dans ses approches tout en restant ferme sur les questions essentielles de souveraineté et de sécurité nationale.
À travers ce prisme philosophique, la Chine ne se contente pas de répondre aux réalités géopolitiques du moment ; elle s’appuie sur des traditions anciennes pour orienter son action dans un monde complexe. Pour comprendre pleinement la diplomatie chinoise aujourd'hui, il est essentiel de saisir ces racines profondes qui façonnent ses engagements et ses choix.
En fin de compte, ces philosophies offrent à la Chine une vision du monde qui va au-delà des considérations purement stratégiques, intégrant des notions d’harmonie, de stabilité et d’équilibre. La diplomatie ne se limite pas au pouvoir et à l’influence, mais vise également à établir un ordre mondial en accord avec des principes millénaires de sagesse et de coopération.