Le Qipao, tel qu'il est connu aujourd'hui, a vu le jour dans les années 1920 à Shanghai. Il est rapidement devenu un phénomène de mode, adopté par les stars de cinéma comme par les écolières. Symbole d'émancipation de la femme et de sensualité, le Qipao façonne et a été façonné par les silhouettes changeantes de la société chinoise à travers les marées du temps. L'histoire de ce vêtement emblématique reflète la montée en puissance de la femme chinoise moderne au 20e siècle.
Le Qipao à l'époque impériale
Aujourd'hui, les Mandchous sont simplement connus comme l'un des 56 groupes ethniques de la Chine, et en apparence, ils ne sont pas si différents des Hans, l'ethnie chinoise dominante. Mais à travers l'histoire, ils ont contrôlé de grandes parties du Nord-Est de la Chine actuelle. En 1644, à la suite d'une série de campagnes, les Mandchous ont établi la nouvelle dynastie Qing. Les empereurs mandchous allaient conquérir toute la Chine et bien au-delà, et régner pendant près de 300 ans jusqu'à la chute de la Chine impériale en 1911.
Les Mandchous vivaient sous le système des huit bannières (八旗, bāqí), qui allait finalement devenir le fondement administratif de toute la société Qing. Chaque personne, chaque famille, appartenait à une bannière de couleur.
C'est ainsi que les Mandchous sont également connus sous le nom de Qiren (旗人, qírén) ou « peuple des bannières ».
Les Qings ont également imposé plusieurs de leurs coutumes, et beaucoup de ce que l'on considère aujourd'hui comme le « style chinois ancien » provient en réalité de cette époque. C'est par exemple le cas de l'obligation pour les hommes de porter une longue tresse et se raser l'avant du crâne.
Les Qings ont également imposé leur style vestimentaire. Les hommes avaient l'obligation de porter le Changpao (長袍, chángpáo), littéralement « longue robe ». Les femmes devaient, quant à elles, porter une version équivalente, le Qipao (旗袍, qípáo), que l'on pourrait traduire par « robe des Qing ».
Fondamentalement, le Qipao a pour origine une tunique Mandchoue portée également par les hommes.
Pendant des milliers d'années, les Chinois ont porté le Pao (袍, páo), qui désigne une robe ou plus généralement un vêtement long qui descend sous le genou. Les Hans, ayant dominé une grande partie de l'ère impériale, le Hanfu (汉服, hànfú), littéralement « vêtement du peuple Han » était porté aussi bien par la cour du palais impérial que par le reste de la population avant la dynastie Qing.
Le Hanfu avait tendance à être très amples, avec des manches longues et larges ainsi qu'une ceinture qui permettait de le fermer, car il n'y avait pas de bouton. Le Qipao introduit par les Mandchou était très différent. Il se composait d'une seule longue robe à la coupe plus ajustée, avec des manches étroites et deux ou quatre fentes pour faciliter les mouvements, et était fermés sur le côté droit par des boutons.
Malgré l'obligation stricte de se convertir au Qipao, les Hans ont continué à porter le Hanfu tout au long de la dynastie Qing, et progressivement les deux styles vestimentaires se sont mélangés et influencés l'un l'autre.
Mais à travers près de 300 ans d'évolution, le Qipao est resté long et droit et plat, une forme géométrique simple pas toujours flatteuse pour le corps féminin. C'était encore le cas lorsque les Qing ont été renversés en 1912.
La fin de la dynastie Qing a également marqué la fin de la Chine impériale. Avec un nouveau gouvernement et l'idéalisme d'une nouvelle société, le Qipao est tombé en désuétude pendant les 15 années suivantes.
Le Qipao de 1910 à 1930 et la montée du féminisme en Chine
Avec la révolution qui a renversé la Chine impériale, la culture chinoise a subi des changements radicaux, et le Qipao n'y a pas échappé. Un nouveau gouvernement dirigé par Sun Yat-sen est mis en place, et le pays est officiellement proclamé République de Chine. Les éléments caractéristiques de la dynastie Qing tendent à disparaître, et le Qipao lui-même devient réservé aux riches familles mandchoues.
Le Mouvement de la nouvelle culture (新文化运动, xīn wénhuà yùndòng) est un marqueur important dans l'histoire du Qipao. Le mouvement a émergé alors que la république chinoise nouvellement établie vacillait et ne parvenait pas à assurer la modernisation que beaucoup espéraient depuis longtemps.
Le mouvement plaidait notamment pour que les femmes soient libérées des chaînes du patriarcat et de la tradition.
Dans toutes les couches de la société, les femmes sortaient de la sphère domestique pour entrer dans la sphère publique, en recevant une éducation, en occupant des emplois, et même en entrant en politique. Cet élan de changement accéléré a rapidement influencé la façon dont les femmes considéraient leurs choix vestimentaires.
Des étudiantes sont ainsi descendues dans la rue pour affirmer l'égalité tout en revêtant le Qipao, associé au Changpao des intellectuels masculins. Cette fois, cependant, les pantalons sous les robes ont fait place à des bas longs. Cette déclaration de la libération féminine est aussi un clin d'œil à l'évolution des circonstances.
Le Qipao n'était plus simplement une tenue traditionnelle chinoise, mais le symbole de l'émancipation de la femme chinoise.
Les jeunes femmes intellectuelles se sont battues contre les valeurs et les coutumes traditionnelles, en exhibant leur corps, dans la mesure où elles le pouvaient, en montrant au moins leurs silhouettes.
Les rôles traditionnels des hommes et des femmes sont remis en question et les femmes veulent aller à l'école, faire carrière et s'exprimer davantage en dehors de la sphère domestique.
Ce mouvement culminera avec les manifestations du 4 mai 1919 contre le Traité de Versailles, qui prévoyait d'accorder une partie de la province du Shandong au Japon.
Sous l'influence du mouvement féministe et de la mode occidentale, le Qipao a continué d'évoluer. Il avait toujours la même silhouette assez ample, mais les tissus épais de la dynastie Qing, avec leurs multiples broderies, ont disparu. Au lieu de cela, des tissus plus légers et plus simples sont utilisés et, avec des manches et des jupes plus courtes, le corps de la femme commence enfin à être visible.
En 1927, le gouvernement nationaliste a déclaré que le Qipao était la tenue nationale des femmes chinoises, et cela a marqué le début de l'âge d'or du Qipao et de la ville où il allait s'épanouir : Shanghai.
Les années 1930, l'âge d'or du Qipao
Dans les années 1930, Shanghai était bel et bien devenue le centre de l'Asie de l'Est. Principal port commercial de la Chine, c'était l'une des plus grandes villes du monde avec plus de 3 millions d'habitants. Ville sophistiquée et cosmopolite, elle était un mélange des cultures chinoise et occidentale, une plaque tournante de la musique, du cinéma, de la célébrité et de la mode.
C'est au cours des années 1930 que le développement du Qipao est devenu inextricablement lié à celui de Shanghai.
Les dernières tendances de la mode occidentale étaient adaptées aux Qipaos en l'espace de 3 à 4 mois. Les grands magasins et les fabricants de textiles organisaient des défilés de mode. Les célébrités, encouragées par les sociétés cinématographiques shanghaïennes, rivalisaient dans les dernières créations de Qipao.
Plus célèbre encore, les commerçants de Shanghai mettaient en scène des femmes glamour en Qipao dans des publicités pour attirer les clients et les inciter à acheter les dernières cigarettes, liqueurs ou cosmétiques. Et les femmes de toute la Chine ont suivi ; le pays était devenu fou du Qipao.
C'était vraiment l'âge d'or du Qipao : les célébrités, les films, les publicités et les affiches restent encore populaires aujourd'hui... Et bien sûr, les robes elles-mêmes, dans un éventail étourdissant de couleurs, de motifs et de tissus.
Alors que les robes cintrées et moulantes devenaient à la mode en Occident, le Qipao a suivi le mouvement. Finies les formes amples des années 20, le Qipao des années 30 avait des manches plus courtes et plus étroites (si tant est qu'il y en ait) et une taille ajustée.
Les fentes latérales, qui étaient simplement fonctionnelles et remontaient jusqu'aux genoux pour faciliter la marche, se sont allongées au fur et à mesure que la robe s'allongeait. Au milieu des années 30, de nombreuses femmes avaient des fentes jusqu'aux cuisses, révélant des éclats de jambes lorsqu'elles marchaient.
Le contraste était saisissant avec cette forme effilée qui descendait jusqu'au sol, et ce col haut et rigide qui atteignait le menton et maintenait le haut du corps droit et posé. Le qipao des années 1930 a capté l'imagination du monde entier. Il était à la fois élégante et sexy, discret mais avec un soupçon de coquinerie ; la robe flirtait et s'affichait, séduisant aussi bien les hommes que femmes.
Le Qipao des années 1940 à nos jours
Avec le début de la seconde guerre sino-japonaise en 1937, l'ambiance à Shanghai et dans toute la Chine en général s'est considérablement assombrie. Au début des années 1940, les Qipaos flamboyants étaient devenus inabordables par beaucoup, car le prix des tissus avait considérablement augmenté en raison de la guerre. En conséquence, le Qipao du début des années 1940 est devenu extrêmement sobre.
Les robes longues typiques des années 30 ont été réduites à la mi-mollet ou au genou, les cols hauts sont devenus plus courts et sur les Qipaos d'été, les manches étaient inexistantes.
Les matériaux et les pankous (boutons noués utilisés pour fermer le Qipao) sont également tous devenus très simplistes. Peu importe comment vous le regardiez, il n'y avait que des soustractions. Tout ce qui semblait esthétique, utile ou non, avait été retiré.
Après la fin de la guerre sino-japonaise en 1945, Shanghai a retrouvé son opulence d'avant-guerre, et le Qipao glamour des années 1930 a fait son retour. En fait, il est revenu plus moulant, plus court et avec encore plus de variations. La silhouette déjà mince des années 30 est devenue encore plus cintrée. Les paillettes, les perles et la dentelle sont également devenues populaires.
Au cours des 4 ou 5 années qui ont précédé 1949, le Qipao a connu le plus grand boom de son histoire en Chine. Presque chaque femme urbaine en possédait plusieurs dans sa garde-robe. Cependant, c'est aussi la période de la guerre civile entre les communistes et les nationalistes. En 1949, les communistes ont accédé au pouvoir et ont fondé la République populaire de Chine. À partir de ce moment-là, le Qipao a disparu.
Après 1949, lorsque Shanghai a cessé d'être la capitale de la mode et du luxe en Asie de l'Est, de nombreuses familles riches de Shanghaï ont traversé l'océan pour se réfugier à Hong Kong. Avec elles, les tailleurs shanghaïens ont suivi, tentant de reproduire l'ancien style de vie du Shanghai des années 30 et 40 à Hong Kong.
Le Qipao est resté extrêmement populaire à Hong Kong jusque dans les années 70, jusqu'à ce que les jeans et les T-shirts finissent par s'imposer comme tenue de tous les jours pour les femmes.
La Chine continentale a connu de nombreuses années de turbulence entre le début des années 50 et la fin des années 70. Des initiatives telles que le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle, ont eu pour conséquence d'isoler la Chine, tant du monde que de sa propre culture et de son histoire.
Avec les réformes économiques des années 80, suivies par la croissance économique et la libéralisation sociale, le Qipao a été remis au goût du jour. Au cours des quelques 30 dernières années, il a retrouvé de plus en plus sa popularité d'antan.
Outre Hong Kong et la Chine continentale, la tradition de la qipao a également été perpétuée à Taïwan et par la diaspora chinoise dans toute l'Asie du Sud-Est : Singapour, Malaisie, Indonésie, Philippines. Aujourd'hui, c'est dans ces régions que l'on trouve certains des modèles de Qipao les plus innovants.
Le Qipao fait renaître le sexy, pour le meilleur et pour le pire
Avec ses nombreuses apparitions cinématographiques, notamment dans le films In The Mood For Love (2000), un désir de nostalgie a précipité la demande pour le Qipao. Une nouvelle génération de jeunes consommatrices ne considère plus cette robe comme une relique de la garde-robe de leurs grands-mères. Au contraire, il est de plus en plus considéré comme une pièce d'héritage intemporelle qui peut être réinventée dans la mode moderne.
Cela a donné naissance à des modèles innovants adaptés à toutes les occasions formelles et informelles. L'ajout d'une touche moderne à une robe traditionnelle ne reflète pas seulement la créativité des couturiers contemporains, elle témoigne également de la polyvalence du Qipao et de ses éléments essentiels qui ont résisté à l'épreuve du temps.
Mais alors que le Qipao regagne le cœur des femmes du monde entier, certaines marques profitent de la tendance, en affichant un certain fétichisme des femmes asiatiques, avec des modèles qui adhèrent spécifiquement à la perspective stéréotypée occidentale.
C'est par exemple le cas de ces robes extrêmement courtes vendues avec des titres accrocheurs qui sous-entendent le désir et le sexe. Tout cela implique un contexte très différent de celui où les femmes chinoises tentaient de s'émanciper.
Le problème est que ce vêtement traditionnel, lorsqu'il est placé dans un contexte sexuel, va à l'encontre de la culture qui l'a créé. Se déguiser en empruntant certains éléments culturels d'une nation afin d'imposer des stéréotypes, ne peut qu'offenser et blesser les femmes chinoises.
Mais, terminons sur une note positive.
Fidèle à sa polyvalence, le Qipao a traversé des tumultes politiques, survécu à des bouleversements sociaux et s'est adapté à des modèles économiques changeants, pour en ressortir chaque fois plus fort que jamais. Le regain d'intérêt dont il bénéficie aujourd'hui a fermement cimenté son importance en tant que marqueur symbolique de l'identité chinoise.
Son prestige en tant qu'emblème culturel continue d'inspirer les femmes de tout horizon qui souhaitent ajouter élégance et grâce à leurs tenues quotidiennes. Synonyme de sensualité, de sophistication et de nostalgie durable, le Qipao est là pour rester dans la garde-robe et dans le cœur des générations de femmes à venir.