Si vous parlez à de nombreux Chinois des guerres de l'opium, une phrase que vous entendrez rapidement est 落后就要挨打(luòhòu jiù yào āidǎ), ce qui signifie littéralement si vous êtes en arrière, vous serez battu
. La Chine ne devrait plus jamais être faible, « arriérée » et vulnérable aux autres pays.
Ces guerres, alimentées par la cupidité et l'exploitation, ont non seulement révélé les faiblesses de la dynastie Qing, autrefois puissante, mais ont également laissé une marque indélébile sur le paysage politique, social et culturel de la Chine. Si elles sont largement oubliées en France et ailleurs, elles restent un moment décisif de l'histoire de la Chine et ont toujours un écho dans la Chine d'aujourd'hui.
Dans cet article, nous allons nous plonger dans l'histoire complexe des deux guerres de l'opium, en démêlant les événements qui ont conduit à leur déclenchement et les répercussions qui continuent à se faire sentir à travers le temps. Nous examinerons les principales batailles, les traités inégaux, ainsi que l'impact durable de ces guerres sur le peuple chinois.
La Chine à l'époque de la dynastie Mandchoue des Qing
Au milieu du 19e siècle, après une période de réformes politiques et industrielles, la Grande-Bretagne était une grande puissance capitaliste. Elle devait chercher à l'étranger à la fois des matières premières et des marchés pour ses produits finis. Pour cela, elle était prête à utiliser la « diplomatie de la canonnière », qu'elle appelait « le libre-échange », pour atteindre ces objectifs.
Les puissances occidentales, telles que la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis, ont étendus leur influence dans le monde entier grâce à cette force militaire.
D'un côté, la Chine n'est jamais devenue une colonie occidentale, comme ses voisins l'Inde, la Birmanie, la Malaisie ou le Vietnam. Mais d'un autre, elle n'a pas su être efficace pour contrer la force militaire de l'Occident moderne, portée par la révolution industrielle et le mercantilisme.
Même si la Chine a inventé la poudre, elle a été pour la première fois dominée par les canons d'une civilisation étrangère.
Sous la dynastie Qing, fondée par les mandchous en 1644, la Chine avait atteint le sommet de sa puissance et de sa prospérité. L'empire s'étendait sur plus de 13 millions de kilomètres carrés, de l'actuelle Chine du Nord-Est, de la Mongolie intérieure, de la Mongolie extérieure, du Xinjiang et du Tibet.
Cependant, les Qing se sont ensuite repliés sur eux-mêmes, devenant isolationnistes. La Chine était alors un pays très conservateur, avec une société très traditionnelle dominée par des idées confucéennes en matière de gestion politique, sociale et économique.
L'exception à la règle était à Canton, la région du sud-est centrée sur l'actuelle province du Guangdong, qui jouxte Hong Kong et Macao, seul endroit où les étrangers étaient autorisés à faire du commerce avec la Chine.
Ce système avait été initialement mis en place sous la dynastie Ming (1368 - 1644), puis reconduit par la dynastie Qing. En 1757, l'empereur de Chine ordonna que Canton soit le seul port chinois qui serait ouvert au commerce avec des étrangers, que le commerce ne puisse avoir lieu que par l'intermédiaire de marchands chinois agréés, et les paiements étaient effectués exclusivement en argent.
La Chine et l'occident s'affrontent sur fond de commerce de la drogue
Pendant de nombreuses années, la Grande-Bretagne a travaillé dans le cadre du système de Canton, en donnant à la Compagnie des Indes orientales le monopole du commerce avec la Chine. Elle expédiait du coton indien et de l'argent britannique vers l'Empire du Milieu, puis ramenait du thé chinois et d'autres produits vers la Grande-Bretagne.
À partir de la fin du 18e siècle, la balance commerciale était fortement en faveur de la Chine, car les consommateurs britanniques avaient développé un fort goût pour le thé chinois, ainsi que pour d'autres produits comme la porcelaine et la soie. Mais les consommateurs chinois n'avaient pas de préférence similaire pour les produits de Grande-Bretagne.
Cela a évidemment créé un important déséquilibre commercial en faveur de la Chine et posait problème aux Britanniques qui avaient peu d’argent et beaucoup de marchandises en nature, venant principalement de leurs colonies aux Indes.
La Grande-Bretagne devait utiliser de plus en plus d'argent pour payer ses achats croissants de biens chinois. À la fin des années 1700, la Grande-Bretagne a considéré que la situation n'était plus tenable et qu'il fallait absolument renverser la balance commerciale en leur faveur, même s'il fallait utiliser les moyens les plus contestables.
À partir du milieu du 18e siècle, les Britanniques ont ainsi commencé à faire le commerce de l'opium cultivé en Inde en échange d'argent provenant de marchands chinois. L'opium, une drogue qui crée une dépendance et qui est aujourd'hui transformée en héroïne, était illégal en Angleterre, mais était utilisé dans la médecine traditionnelle chinoise.
Si son usage récréatif était illégal et peu répandu, cela a changé lorsque les Britanniques ont commencé à expédier des tonnes de cette drogue en utilisant une combinaison de failles commerciales et de contrebande pure et simple pour contourner l'interdiction.
La première guerre de l'opium
Après des années de tentatives infructueuses pour ouvrir le commerce avec la Chine, la Grande-Bretagne a ainsi finalement décidé de suivre l'exemple de l'Espagne et a commencé à vendre de l'opium, qu'elle obtenait des colonies indiennes. Les Britanniques avaient découvert la valeur du commerce de l'opium et ils étaient déterminés à tirer profit de ce produit facilement accessible.
L'empereur Daoguang est alarmé par les millions de toxicomanes et le flux d'argent qui quitte la Chine, et redouble d'efforts pour supprimer le commerce de l'opium. En 1839, le commissaire impérial nouvellement nommé, Lin Zexu, institua des lois interdisant l'opium dans toute la Chine.
Il arrêta 1 700 trafiquants et saisit les caisses de cette drogue qui se trouvaient déjà dans les ports chinois ou sur ses navires en mer, et les a toutes détruites. Cela représentait plus de 20,000 coffres d'opium, pour une valeur de 2,6 millions de livres.
Lin Zexu a même envoyé une lettre à la reine Victoria, soulignant que l'Angleterre ayant interdit le commerce de l'opium, la décision de la Chine d'instaurer une telle interdiction était tout également justifiée.
Les commerçants britanniques en colère ont fait promettre au gouvernement britannique une compensation pour les drogues perdues, mais le trésor public n'en avait pas les moyens. La guerre allait régler la dette.
Mais les premiers coups de feu furent tirés qu'en novembre 1939, lorsque des navires de guerre chinois se sont heurtés à des marchands britanniques, car la Royal Navy a établi un blocus autour de Pearl Bay pour protester contre la restriction du libre-échange... de la drogue.
Un an plus tard, en réponse à la démarche de la Chine, et suite à une demande de ses marchands, le gouvernement britannique envoie ses navires de guerre. Le corps expéditionnaire arrive à Hong Kong et attaquent Canton en mai 1841.
Les Britanniques disposaient de navires à vapeur, de canons lourds et d'une infanterie équipée de fusils capables de tirer avec précision à longue distance. Les troupes chinoises étaient clairement sous-équipées, et leurs navires de guerre ont été rapidement détruits. Les armées chinoises subissent défaite sur défaite, et les Britanniques se rendent vite maîtres des endroits stratégiques.
En août 1842, une escadre britannique remonte le fleuve Yangtze jusqu’à Nanjing, obligeant le gouvernement Qing à capituler et à signer le traité de Nanjing le 29 août 1842. Les Britanniques ont pu fixer leurs propres conditions.
Le traité de Nanjing stipulait que Hong Kong deviendrait un territoire britannique et que la Chine serait obligée d'établir cinq ports de traités dans lesquels les commerçants britanniques pourraient faire le commerce de tout ce qu'ils voulaient avec qui ils voulaient (sous-entendu, continuer à vendre de l'opium).
L'ouverture de ces ports a entraîné un afflux de marchands, de missionnaires et de diplomates étrangers, ce qui a encore érodé la souveraineté chinoise et exposé le pays à l'influence étrangère.
La seconde guerre de l'opium, pour encore plus de drogue
Au milieu du 19e siècle, l'impérialisme est en plein essor, et si les revenus du commerce de drogue sont considérables pour les Britanniques, cela se faisait au détriment de la vente d'autres produits industriels. Ils ne tardèrent pas à demander à la Chine de faire encore plus de concessions.
Le commerce de l'opium est toujours illégal en Chine, et les Anglais demandèrent une révision du Traité de Nanjing pour un commerce sans restriction dans tous les ports, des ambassades à Pékin et la fin des interdictions de vente d'opium sur le continent chinois.
Le prétexte de la seconde guerre de l'opium est l'incident de l'Arrow. En octobre 1856, les autorités chinoises ont saisi un ancien navire pirate, l'Arrow, avec un équipage chinois, mais un enregistrement britannique expiré. Le capitaine a déclaré aux autorités britanniques que la police chinoise avait détruit le pavillon d'un navire britannique, ce qui était préjudiciable aux droits et à l'honneur de la couronne.
Les Britanniques ont demandé au gouverneur chinois de libérer l'équipage. Lorsque seulement neuf des quatorze membres de l'équipage sont revenus, les Britanniques ont commencé à bombarder les forts chinois autour de Canton et ont finalement fait sauter les murs de la ville.
La Chine n'était pas en mesure de riposter, car elle était alors impliquée dans la rébellion dévastatrice des Taiping. Les rebelles avaient presque pris possession de Pékin et contrôlaient toujours une grande partie du pays.
Une fois de plus, les Britanniques ont démoli leurs opposants chinois, coulant 23 jonques lors de l'affrontement initial près de Hong Kong et s'emparant de Canton. Au cours des trois années suivantes, les navires britanniques remontent le fleuve, et s'emparent de plusieurs forts chinois.
La France se joint à la guerre, en prenant le prétexte de l'exécution d'un missionnaire français qui avait défié l'interdiction faite aux étrangers dans la province du Guangxi. Même les États-Unis ont été brièvement impliqués après qu'un fort chinois ait tiré à distance sur un navire américain.
La Russie ne s'est pas jointe aux combats, mais a utilisé la guerre pour faire pression sur la Chine afin qu'elle cède une grande partie de son territoire du Nord-Est.
Lorsque les envoyés étrangers rédigèrent le traité de Tianjin en 1858, les termes étaient encore plus écrasants pour l'autorité de la dynastie Qing.
Dix autres villes ont été désignées comme ports de traités, les étrangers ont eu libre accès au fleuve Yangtze et à la Chine continentale, et Pékin a ouvert des ambassades en Angleterre, en France et en Russie.
L'empereur Xianfeng a d'abord accepté le traité, mais il a ensuite changé d'avis. En juin 1859, les Chinois repoussèrent une tentative britannique de prendre les forts par la mer, faisant couler quatre navires britanniques. Un an plus tard, un assaut terrestre mené par 11 000 soldats britanniques et 6 700 soldats français réussit.
L'empereur Xianfeng s'enfuit avec sa suite, en juin 1858. Afin de blesser la fierté de l'empereur
, les troupes britanniques et françaises pillent et détruisent le palais d'été historique.
Le traité de Tianjin est finalement ratifié par le frère de l’empereur lors de la convention de Pékin le 18 octobre 1860, mettant un terme à la seconde guerre de l’opium.
Le nouveau traité révisé imposé à la Chine légalise à la fois le christianisme et l'opium, et ajoute Tianjin à la liste des ports visés par le traité. Il a permis aux navires britanniques de transporter des travailleurs chinois sous contrat vers les États-Unis, et a imposé au gouvernement chinois une amende de huit millions de dollars en indemnités.
La présence occidentale en Chine est devenue si omniprésente, et si détestée, qu'une révolte populaire anti-occidentale, la Rébellion des Boxeurs, a éclaté en 1899. A Shanghai, on pouvait voir dans certains parcs, des panneaux avec écrit dessus « interdit aux chiens et aux Chinois ».
La malheureuse dynastie Qing, sous la direction de l'impératrice douairière Cixi, a d'abord tenté de réprimer la violence avant de la soutenir, juste à temps pour qu'une force militaire multinationale composée de troupes américaines, russes, allemandes, autrichiennes, italiennes, françaises, japonaises et britanniques arrivent et écrasent la rébellion.
Les conséquences des guerres de l'opium
En 1839, les Britanniques ont imposé à la Chine leur version du libre-échange et ont insisté sur le droit légal de leurs citoyens de faire ce qu'ils voulaient, où ils voulaient, tout en faisant le commerce d'un produit (l'opium) qui était illégal dans leur propre pays. Le coût humain de la dépendance chinoise à l'opium ne doit pas être sous-estimé.
Mais il est également important de souligner que tout le monde en Grande-Bretagne n'a pas soutenu le commerce de l'opium en Chine. En fait, les membres du public et certains médias ont exprimé leur indignation quant au soutien de leur pays au commerce de l'opium.
La première guerre de l'opium a été le début de la fin de la Chine impériale, une civilisation avancée qui avait duré des milliers d'années. La guerre a également été la première salve de ce que l'on appelle aujourd'hui en Chine le « siècle d'humiliation », qui a certainement une influence sur la vision des Chinois de la politique étrangère.
La Chine fera tous les efforts nécessaires pour ne pas tomber une fois de plus dans une telle situation. Elle est déterminée à jouer le jeu politique mondial avec ses propres règles malgré toutes les critiques. Elle est déterminée à être l'une des principales puissances du monde, peut-être la plus forte, à l'avenir.
Les traités inégaux que les puissances occidentales ont imposés à la Chine ont sapé la manière dont elle avait mené ses relations avec d'autres pays et son commerce du thé. La poursuite du commerce de l'opium a d'ailleurs ajouté au coût pour la Chine à la fois de l'argent et des graves conséquences sociales de la dépendance à l'opium.
La Chine a été considérablement affaiblie par les deux guerres qui l'ont ravagée, et l’impératrice douairière Cixi décide qu’il est temps que la Chine commence à se moderniser en prenant exemple sur les pays plus développés. Une des conséquences principales de la deuxième guerre de l’opium est donc la modernisation de la Chine, qui s’ouvre progressivement sur le monde extérieur, ce qui lui permet de se développer.
À mesure que les choses ont changé et que la popularité de l'opium a diminué, son influence dans le pays a fait de même. En 1907, la Chine a signé u accord l'Inde qui s'engageait de cesser de cultiver et d'exporter de l'opium au cours des dix prochaines années. En 1917, le commerce avait pratiquement cessé. D'autres médicaments étaient devenus plus à la mode et plus faciles à produire, et le temps de l'opium avait pris fin.
En fin de compte, il a fallu deux guerres, d'innombrables conflits, traités, négociations, et sans doute un nombre considérable de personnes dépendantes à cette drogue, pour forcer l'opium à entrer en Chine, juste pour que les Britanniques puissent profiter de leur tasse de thé !
Les guerres de l'opium sont ainsi une période marquée par l'agression étrangère, l'exploitation et les concessions territoriales. Cette période a joué un rôle crucial dans la formation de l'identité nationale chinoise, en favorisant un fort sentiment de nationalisme et la détermination à retrouver la place qui revient de droit au pays sur la scène mondiale.
Les guerres de l'opium ont également laissé une trace indélébile dans la culture populaire et la mémoire collective en Chine. Des films, des romans et des émissions de télévision ont dépeint les luttes et la résistance du peuple chinois pendant cette période turbulente.
Ces dernières années, les guerres de l'opium ont suscité un regain d'intérêt, tant en Chine qu'à l'étranger, et restent un sujet de discussion et de réflexion sur les relations complexes entre la Chine et l'Occident.