Le bandage des pieds : phénomène des pieds de lotus en Chine

Le bandage des pieds : phénomène des pieds de lotus sous la dynastie Song

Chaque société a ses propres critères de beauté, et dans la Chine ancienne, l'un de ces critères était la pratique du bandage des pieds. Pendant des siècles, cette tradition mystérieuse et douloureuse a captivé l'imagination des Chinois et du monde extérieur. Parmi les dynasties qui ont connu l'apogée de ce phénomène figure la dynastie Song, qui a régné sur la Chine de 960 à 1279.

Les pieds bandés, également connus sous le nom de « pieds de lotus », étaient un symbole de féminité, de beauté et de statut social, et ont laissé un impact durable sur la culture chinoise. Dans cet article, nous vous emmenons à la découverte du monde des pieds bandés dans la Chine ancienne, en nous penchant sur ses origines, le processus douloureux, l'importance culturelle et la fin de cette pratique captivante, mais controversée.

Quelle est l'origine des pieds bandés en Chine ?

La pratique du bandage des pieds remonte à la dynastie Tang (618-907), mais elle s'est répandue sous la dynastie Song. Une légende populaire entourant les origines de cette pratique est l'histoire de Yao Niang, une danseuse de la cour et concubine de l'empereur Li Yu (937-978).

Yao Niang était connue pour ses spectacles de danse captivants, au cours desquels elle se liait les pieds et dansait sur les orteils, à la manière d'une fleur de lotus. L'empereur, subjugué par sa beauté, encouragea les autres femmes de la cour à imiter son style, et la pratique se répandit bientôt au-delà de la cour impériale.

La dynastie Song a connu une augmentation de la popularité du bandage des pieds en raison de l'influence de la cour royale et de l'importance croissante accordée à la valeur esthétique des pieds des femmes.

Les premières traces de la pratique du bandage des pieds à cette époque se trouvent dans les écrits, la poésie et les peintures, qui représentent des femmes aux pieds minuscules et bandés. Ces représentations artistiques ont contribué à promouvoir l'idéal des pieds de lotus comme incarnation de la beauté et du raffinement, ce qui a incité de plus en plus de familles à bander les pieds de leurs filles dans l'espoir d'améliorer leurs perspectives de mariage et de mobilité sociale.

À l'origine, le bandage des pieds était surtout pratiqué par l'élite, mais au fur et à mesure que la dynastie Song progressait, la coutume s'est étendue à d'autres couches sociales. Cette expansion est en partie due à l'influence de l'idéologie confucéenne, qui mettait l'accent sur l'obéissance et la soumission des femmes, ainsi que sur le désir de promotion sociale.

En devenant plus populaire, le bandage des pieds n'était plus réservé aux classes supérieures, et des familles de toutes conditions sociales ont commencé à lier les pieds de leurs filles, dans l'espoir de leur assurer un meilleur avenir. À la fin de la dynastie Song, le bandage des pieds était devenu un aspect bien ancré de la culture chinoise, une tendance qui allait perdurer pendant des siècles.

La douloureuse transformation des pieds naturels en pieds de lotus

Le bandage des pieds commence généralement lorsque la fillette a entre quatre et neuf ans. Les pieds d'un enfant étaient encore souples, malléables et plus faciles à modeler. En outre, on pensait que les jeunes filles étaient plus résistantes et s'adaptaient mieux à la douleur associée au processus de bandage.

Cela commençait par le choix d'un jour propice dans le calendrier. Ensuite, des prières et des offrandes étaient offertes à la déesse aux petits pieds. Lorsque tout était prêt, la tâche était généralement accomplie par les femmes les plus âgées de la famille.

Pour commencer le processus, les pieds de la jeune fille étaient trempés dans un mélange chaud d'herbes médicinales, censé ramollir les pieds et faciliter la manipulation des os. Les ongles des orteils étaient coupés courts pour éviter la prolifération et l'infection. Ensuite, les pieds étaient étroitement enveloppés à l'aide de longues bandes de coton blanc ou de soie, mesurant environ cinq centimètres de large et trois mètres de long.

Le gros orteil était tourné vers l'avant tandis que les quatre petits orteils de chaque pied étaient progressivement pliés vers le bas et vers l'intérieur.

Les linges humides qui entouraient les pieds se rétractaient en séchant, comprimant ainsi le pied. Ces linges étaient gardés jour et nuit ce qui limitait le croissance du pied.

Les pieds étaient détachés au bout d'un mois, les éventuelles ulcérations de la peau étaient traitées et le pied à nouveau bandé. Les liens étaient ensuite desserrés et resserrés une fois par mois jusqu'à ce que la jeune fille atteigne le début de l'adolescence.

Le processus de bandage des pieds était atrocement douloureux. Au fur et à mesure que les pieds se resserraient, les os se brisaient et les pieds se déformaient. Le résultat visé de ce long processus était de ne pas avoir les pieds plus longs que 7 à 10cm, alors qu'ils étaient connus sous le nom de « pieds Lotus », d'après le symbole central de la vie bouddhiste. Plus les pieds étaient petits, plus ils étaient attrayants, voire érotiques pour certains, et c'est devenu une marque d'élégance distincte.

Tout au long du processus, la jeune fille devait faire face à de nombreux problèmes de santé et complications, notamment des infections, des gangrènes et des handicaps à vie. Malgré ces risques, la ligature des pieds est restée une tradition largement pratiquée en Chine pendant des siècles, sous l'effet des pressions sociales et de la recherche de la beauté et du statut social.

L'importance culturelle du bandage des pieds

Dans la Chine ancienne, les perspectives de mariage et le statut social d'une femme étaient souvent déterminés par la taille et la forme de ses pieds. Des pieds plus petits et plus délicatement bandés étaient associés à la richesse, au raffinement et à la désirabilité. Une femme aux pieds de lotus était considérée comme une proie de choix pour les prétendants potentiels, car ses pieds liés symbolisaient son obéissance et l'engagement de la famille à respecter les valeurs traditionnelles.

Une fille aux pieds liés avait plus de chances de se marier et cela constituait une autre incitation à poursuivre cette pratique cruelle. Les filles étaient prêtes à la subir, car c'était un passeport pour éviter de devoir travailler sans fin dans les champs. Dans de nombreux cas, un bon parti pouvait élever le statut social de toute la famille, ce qui a contribué à perpétuer la tradition des pieds bandés.

La pratique du bandage des pieds était profondément ancrée dans la perception de la beauté et de la féminité de la société chinoise.

Les petits pieds liés étaient considérés comme délicats, gracieux et sensuels, des qualités très prisées par les femmes. La forme particulière des pieds contribuait également à une démarche unique, considérée comme séduisante et érotique. En outre, l'acte de lier les pieds d'une femme était censé accentuer ses autres attributs physiques, tels que ses hanches et son buste, en détournant l'attention de ses pieds et en la dirigeant vers ses caractéristiques plus traditionnellement féminines.

Le bandage des pieds n'était pas seulement une question de beauté et de statut social ; il avait également une forte connotation érotique. Les petits pieds, dissimulés dans des chaussures brodées, étaient considérés comme une partie intime et privée du corps d'une femme, qui ne devait être révélée qu'à son mari.

Le déballage des pieds liés d'une mariée lors de sa nuit de noces était un événement érotique très attendu, symbolisant le dévoilement d'un trésor caché. En outre, la démarche unique des femmes aux pieds de lotus était censée renforcer leurs muscles pelviens, ce qui était censé accroître leur désirabilité sexuelle et leurs prouesses. Cet aspect érotique du bandage des pieds a renforcé la place de cette pratique dans la culture chinoise et a alimenté la fascination pour les pieds de lotus.

L'art lié à la pratique du bandage des pieds

L'un des aspects les plus fascinants du bandage des pieds est la beauté et la complexité des chaussures fabriquées pour les femmes aux pieds bandés. Ces chaussures minuscules, appelées « chaussures lotus », étaient méticuleusement brodées à la main avec des fils de soie et ornées de divers motifs tels que des fleurs, des animaux et des scènes de la nature.

Ces chaussures n'étaient pas seulement un signe de mode, mais aussi l'expression de l'habileté et de l'art d'une femme, qui créait souvent ses propres chaussures ou les recevait en cadeau de sa mère ou d'autres membres féminins de sa famille.

Paire de chaussures chinoises, pieds bandés
Une fois que les pieds avaient la forme voulue, les femmes portaient des chaussures spéciales, souvent en soie avec des motifs brodés.

La beauté et l'attrait des pieds de lotus ont été immortalisés dans diverses formes d'art tout au long de l'histoire de la Chine. Des poètes comme Du Mu, Li Qingzhao et Su Shi ont écrit des vers vantant le charme et la grâce des femmes aux pieds liés. Les peintures de la dynastie Song représentent des femmes aux petits pieds se livrant à des activités de loisir, comme se promener dans des jardins ou participer à des cérémonies du thé.

Ces représentations artistiques ne célèbrent pas seulement l'attrait esthétique des pieds de lotus, mais renforcent également la signification culturelle des pieds bandés dans la conscience collective chinoise.

La démarche des femmes aux pieds de lotus était un sujet d'admiration et de fascination dans la Chine ancienne. Connue sous le nom de « marche du lotus », cette démarche se caractérisait par un mouvement lent, prudent et presque dansant, considéré comme très séduisant et féminin. Les femmes aux pieds bandés mettaient souvent en valeur leur démarche gracieuse lors de réunions sociales et d'autres événements publics, ce qui renforçait encore le caractère désirable des pieds de lotus et leur association avec la beauté et le raffinement.

La disparition des pieds bandés

Le déclin du bandage des pieds a commencé à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, lorsque la Chine a été davantage en contact avec les cultures occidentales. Les missionnaires et diplomates occidentaux qui sont arrivés en Chine ont été consternés par cette pratique et ont mené une campagne active contre elle. Ils considéraient le bandage des pieds comme une coutume barbare et inhumaine qui n'avait pas sa place dans une société moderne.

Ces critiques, associées à la diffusion de nouvelles idées sur les droits et l'égalité des femmes, ont progressivement fait évoluer l'opinion publique contre la pratique du bandage des pieds.

La révolution chinoise, qui a débuté en 1911, a joué un rôle crucial dans la disparition du bandage des pieds. La révolution visait à moderniser la Chine et à éradiquer diverses coutumes féodales, dont le bandage des pieds. Les dirigeants révolutionnaires, tels que Sun Yat-sen et la féministe Qiu Jin, se sont élevés contre cette pratique, l'associant à l'oppression et à l'arriération. Au fur et à mesure que la révolution prenait de l'ampleur, les pieds bandés devenaient de plus en plus impopulaires et de plus en plus de familles choisissaient d'abandonner cette coutume au profit d'idéaux plus progressistes.

En 1912, la République de Chine nouvellement établie a officiellement interdit la pratique du bandage des pieds, déclarant qu'il s'agissait d'un délit punissable. Cette interdiction n'a pas été universellement appliquée, notamment dans certaines zones rurales, mais elle a marqué un tournant important dans le déclin de cette pratique. Au milieu du 20e siècle, les pieds bandés avaient pratiquement disparu de Chine, et les quelques femmes qui les portaient encore étaient considérées comme des vestiges d'une époque révolue.

Certaines femmes se sont alors soumises au douloureux processus de redressement des pieds pour pouvoir à nouveau marcher normalement.

Aujourd'hui, très peu de femmes aux pieds bandés sont encore en vie. Ces femmes âgées, qui ont aujourd'hui plus de 90 ans, représentent la dernière génération de femmes chinoises à avoir connu la douleur de cette tradition. Leurs histoires offrent un aperçu unique d'une époque où les pieds de lotus étaient à la fois vénérés et décriés, et rappellent la complexité de la culture chinoise.

Des efforts ont été déployés pour préserver l'histoire culturelle du bandage des pieds, par le biais de musées, d'expositions et de documentaires. Ces initiatives veillent à ce que les histoires des femmes qui ont vécu avec les pieds bandés ne soient pas oubliées.

La Dynastie Song et la période de la renaissance chinoise
La dynastie des Song est une période marquée par les progrès de la technologie, des inventions et de nouveaux concepts économiques révolutionnaires.

Au terme de notre voyage dans le monde du bandage des pieds dans la Chine ancienne, il nous reste une image complexe et multiforme de cette pratique énigmatique. Le phénomène des pieds de lotus était profondément ancré dans la société chinoise, mêlé à des notions de beauté, de féminité, de statut social et même d'érotisme. Il s'agit d'une pratique qui a à la fois fasciné et choqué, captivant l'imagination des gens pendant des siècles.

Rétrospectivement, nous pouvons apprécier l'importance culturelle du bandage des pieds tout en reconnaissant l'immense douleur et la souffrance qu'il a causées. L'histoire des pieds de lotus nous rappelle avec force l'influence des normes et des attentes de la société sur les individus, ainsi que l'importance de réévaluer et de remettre en question ces normes en permanence.

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