Combien de Ouïghours seraient enfermés dans des camps ?

Combien de Ouïghours seraient enfermés ?

Des millions de Ouïghours seraient régulièrement contrôlés, arrêtés puis enfermés dans des camps au Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Longtemps frappée par des attentats sanglants, cette immense région semi-désertique fait l'objet d'une reprise en main sécuritaire au nom de la lutte antiterroriste et d'une persécution de l'ethnie Ouïghoure. Sur quels éléments se basent ces estimations du nombre de personnes réellement enfermés ?

Les médias relaient continuellement le nombre de « 1 à 2 millions de Ouïghours enfermés dans des camps de rééducation ». Comme le gouvernement chinois ne communique aucun chiffre, d'où vient cette estimation ? La presse n'est pas très explicite sur son origine, et il faut faire un peu de recherche pour remonter à l'origine et se rendre compte que ce nombre est issu de 2 études qui ont été largement contredites par The GrayZone1.

Une première estimation basée sur des interviews

Le 3 août 2008, l'organisation Chinese Human Rights Defenders2, une ONG financée par le gouvernement américain, a publié une étude basée sur l'interview d'un grand nombre de Ouïghours dans différents villages, à qui les auteurs ont demandé s'ils connaissaient dans leur entourage des personnes qui avaient été forcés d'aller dans ces centres. Cela a permis de donner une estimation globale pour le Xinjiang.

Le problème, c'est que le grand nombre de personnes interrogées est de... 8 !

Estimation du nombre de Ouïghours enfermés, par l'ONG Chinese Human Rights Defenders

Sur la base de cet échantillon ridiculement petit dans une région dont la population totale est de 20 millions d'habitants, le CHRD a extrapolé qu'au moins 10 % des villageois sont détenus dans des camps de rééducation.

Comment peut-on faire une estimation correcte en se basant uniquement sur ce que disent 8 personnes ? La méthode a clairement des limites, la marge d'erreur est énorme et c'est pourtant à partir de cette étude que le gouvernement américain a accusé la Chine3 de « détenir arbitrairement de 800,000 à peut-être plus de deux millions de Ouïghours, de Kazakhs et d'autres musulmans dans des camps d'internement destinés à effacer les identités religieuses et ethniques ».

L'estimation de Adrian Zenz basée sur des documents qu'il ne peut pas montrer

La seconde étude qui tente de d'estimer le nombre de Ouïghours enfermés, a été publiée par Adrian Zenz en août 2008 dans la revue Central Asian Survey4. Une version condensée a également été publiée par la Jamestown Foundation5.

Adrian Zenz est le principal chercheur de l'organisation d'extrême droite Victims of Communism Memorial Foundation, créée par le gouvernement américain en 1983. Les prétendues recherches complètement biaisées de Zenz sur le Xinjiang se sont avérées être l'une des armes les plus efficaces pour répandre des accusations sur le traitement des Ouïghours.

Cette étude se base sur un reportage de Istiqlal TV, une chaîne de télévision sur internet gérée par une organisation Ouïghoure en exil vivant à Istanbul, en Turquie. Le contenu de ce reportage a été republié par Newsweek Japan6.

L'étude de Adrian Zenz se base sur un tableau, dont la source ne peut pas être vérifiée et qui proviendrait de « fuites » auprès des autorités chinoises, qui donne la liste des des 892,000 Ouïghours détenus dans 68 comtés du Xinjiang au printemps 2008.

Or, Istiqlal TV est très loin d'être un média indépendant, car il prone clairement la cause séparatiste. Parmi ses intervenants réguliers, se retrouve Abdulkadir Yapuquan, un des leaders du Parti Islamique du Turkestan, cette organisation séparatiste dont le but est l'indépendance du Xinjiang. De par ses liens étroits avec Al-Qaïda, le Parti Islamique du Turkestan a été désigné comme une organisation terroriste par les États-Unis et l'Union européenne.

Le journaliste turc Abdullah Bozkurt a rapporté7 que la chaîne Istiqlal TV a également accueilli des antisémites fanatiques comme Nureddin Yıldız, qui dans une interview sur la chaîne, a appelé au jihad armé non seulement dans la région autonome chinoise du Xinjiang, mais dans le monde entier et a décrit la Chine comme une nation de sauvages, pire que les Juifs.

Adrian Zenz complète également les données en citant des rapports de Radio Free Asia, une agence de presse financée par les États-Unis et créée par la CIA pendant la guerre froide pour faire de la propagande contre la Chine.

C'est donc à partir de ces sources qu'Adrian Zenz extrapolera une estimation extrêmement large « entre plusieurs centaines de milliers et un peu plus d'un million », tout en admettant qu'il n'y a pas de certitude sur cette estimation.

Il a conclu qu'il est néanmoins « raisonnable de spéculer », en déclarant quand même que « l'exactitude de cette estimation repose bien sûr sur la validité supposée des sources indiquées ».

En novembre 2019, Adrian Zenz a revu ses estimations à la hausse lors d'une interview accordée à Radio Free Asia8, affirmant que la Chine détenait 1,8 million de personnes. Son étude et ses propos ont progressivement propulsés Adrian Zenz au rang « d'expert international du Xinjiang ».

Étant donné l'habitude de Zenz à la spéculation et la fiabilité douteuse du seul reportage sur lequel il se fonde pour ses estimations, il est troublant que les gouvernements et les médias occidentaux aient accepté et promu ses revendications sans la moindre trace de scepticisme.

Dans une interview accordée à Der Spiegel9 Adrian Zenz a affirmé que la Chine avait effectivement interdit la pratique de l'islam au Xinjiang. Toute personne au Xinjiang qui s'engage dans tout type de pratique religieuse, toute personne qui a même enregistré un seul verset coranique sur son téléphone portable, sera soumise à un processus brutal de rééducation sans procès, a-t-il affirmé.

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Tentons d'y voir plus clair

Le nombre de 1 million de Ouïghours enfermés dans des centres de rééducation, nombre repris par tous les médias et qui a fait l'objet de nombreuses prises de parole au sein des Nations Unies, est basé uniquement sur 2 études dont on peut douter de l'impartialité. La première étant basée sur uniquement 8 personnes dont nous pouvons remettre la représentativité en question.

La seconde sur un tableau qui aurait fuité, mais dont on ne peut pas consulter le contenu original, qui a été diffusé par un média extrémiste rattaché à Al Quaïda, et qui a servi de base à l'étude d'un chercheur qui semble croire que Dieu l'a envoyé en croisade contre la République Populaire de Chine.

Ce que nous disent ces « estimations au doigt mouillé », c'est que nous ne savons pas grand-chose du nombre de Ouïghours qui sont passés à un moment ou un autre par un de ces centres.

C'est peut-être 1 million, car les informations réelles que nous possédons sont très limitées. Mais c'est peut-être également beaucoup moins, car les études se basent principalement sur ce qui se passe dans les villages, beaucoup plus radicalisés que les grandes villes.

Mais réfléchissons quelques minutes sur ce nombre de 1 million. Sachant que les Ouïghours n'ont pas été soumis à la politique de l'enfant unique, ils ont plusieurs enfants. Dans les campagnes, il n'est pas rare d'avoir des familles avec 5 voir 7 enfants. S'il y avait 1 million de personnes dans les centres, cela correspondrait à environ 1 adulte sur 2.

C'est énorme ! Comment la région peut continuer à fonctionner alors que la moitié de sa population adulte Ouighoure est enfermée ? Comme ils travaillent majoritairement dans des petits commerces, l'agriculture ou l'industrie, qui les remplacent ?

1 million de Ouïghours enfermés, ce sont 1000 personnes réparties dans 1000 centres ? Imaginez les infrastructures, la logistique et l'encadrement nécessaire... Vous trouvez cela cohérent dans une région de 20 millions d'habitants ?

Imaginez le nombre de gardiens et les équipements militaires qu'il faudrait pour assurer la sécurité. Seulement la cuisine demandera des centaines de personnes, uniquement pour nourrir les gardes. On devrait voir un afflux constant de camions chargés de fournitures et de nourriture. On devrait voir des camions pour le transport du personnel. Alors, pourquoi sur les photos satellite de ces centres, nous pouvons clairement voir des voitures civiles garées, mais aucun camion ni équipements militaires ?

Il ne s'agit pas pour autant de nier l'existence de ces centres de rééducation qui ont été créés pour gérer à la source l'extrémisme religieux et le terrorisme. Les pays occidentaux y voient des prisons, le gouvernement chinois y voit des endroits qui proposent un nouvel avenir à ceux qui sont endoctrinés par un islam radical.

Gérer la radicalisation est quelque chose de difficile pour tous les pays. Est-ce qu'il y a une meilleure façon de le faire que la méthode chinoise ? Peut-être, mais force est de constater que la plupart des pays de font rien, restent passifs devant la montée de l'extrémisme et sont souvent impuissants face aux attaques terroristes.

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C'est toujours facile de pointer du doigt la Chine en disant qu'elle ne respecte pas les droits de l'Homme, que c'est quelque chose de terrible, que quelqu'un doit arrêter ça. C'est le discours de propagande que tient l'Occident envers la Chine.

Pourtant, le dernier attentat en Chine remonte à 2014, la paix est revenue dans le Xinjiang et les Ouïghours ont pu reprendre une vie normale, sans craindre de perdre la vie dans une explosion.

Références

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